November 8, 2009

Conference session review: "La versification classique au XXIe siècle, ou le carcan au service de l'expressivité" (session F8) by François Lavallée

Session review by Anne Vincent (read the session description here).

J’avais hésité à inclure cette présentation dans mon programme, en raison de son caractère « littéraire », et donc peut-être moins pratique, mais j’avais tellement apprécié l’exposé précédent de François Lavallée (« Les slogans, j’en fais mon affaire ! ») que j’ai décidé d’aller l’écouter nous parler de la versification en français.
En tout cas, je ne craignais pas d’avoir affaire à un cours magistral, ou à la lecture ânonnée de notes écrites : François a une longue habitude des séminaires et de la formation des traducteurs et il est si épris de son sujet qu’écouter l’un de ses exposés me donne l’impression d’assister à l’une de ces démonstrations passionnées entendues lors d’une discussion entre amis.

Car c’est bien de passion dont il s’agit : dans son introduction, François explique qu’il ne s’est jamais remis de la lecture de Racine, et qu’il façonne alexandrins et autres polysyllabes harmonieux depuis le lycée. Après un rappel sur la manière de compter les syllabes, courtes ou longues, peu importe, il suffit de prêter attention au ‘e’ muet, François donne divers exemples  d’utilisation, d’interaction et de juxtaposition des différents types de vers. Saviez-vous que la longueur de l’alexandrin lui permet de présenter thèse et antithèse  (« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ») ? Ou que l’alternance d’alexandrins et d’octosyllabes peut réveiller un texte ? (« Et quand vous dénichez,/À coups de malveillance et de mots répétés,/Notre âme épouvantée,/On crie, on se débat, sans même se douter/Qu’on se monte un bateau »). On peut encore opposer deux syllabes percutantes (« Du vent ») en réponse à un alexandrin (« C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ? »).
Après des considérations au sujet des rimes, pauvres ou riches, plates, croisées, ou plus simplement embrassées, il aborde ensuite l'harmonisation entre rime et vers :

(« Tout le monde n’est pas de la même famille.
Enfin, que dirait-on
En voyant un ballon
Amoureux d’une aiguille ? »)

Ce que je ne peux rendre ici, c’est le dialogue constant entre François et son auditoire, tandis qu’il nous met au défi de retrouver l’auteur du plus traduit des alexandrins (plus de 105 langues !), « Je suis mon cher ami, très heureux de te voir », tout en ajoutant que, pour lui,  le plus bel alexandrin est sans doute celui que prononce Phèdre, « Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire ». Il mêle extraits de Racine, vers de La Fontaine, citations de Brel et de Brassens et la lecture de plusieurs de ses propres fables, dont la très joyeuse, plaisante et récréative histoire du Cheval vert dont le joual eût séduit Rabelais. Pour conclure, François nous rappelle (car on a bien dû nous le dire au cours de cette éducation si classique dispensée à notre adolescence insouciante ?) que seul le français versifie ainsi, alignant magnifiquement rythme et rimes dans une architecture semblable à celle des jardins à la française.

Et le rapport entre la versification classique et la traduction ? Si l’on considère que la versification est un carcan, imposant de modeler une histoire ou une passion à l’aune de règles bien précises, la traduction n’est guère différente, qui nous demande de reprendre le texte d’un autre et de le rendre précisément tout en le pliant aux canons imposés par la grammaire, le style, le registre et quelquefois les exigences absurdes de clients hélas rois. Plus simplement tout exercice de langue, tout jeu de mots, toute activité modulant l’écriture peuvent être considérés comme un entraînement à la traduction.

(Remarque : allez donc rechercher dans le Racine de votre bibliothèque ce qui désespère Phèdre à ce point, et vous constaterez que vous avez peut-être vous-même été victime de ce qui l’afflige, lui nuit et conspire à lui nuire !)
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